La Société féodale.
Durant huit siècles, les seigneurs de la Sergenterie et du Mesnil sont «dépendants», vassaux de leur suzerain, l’abbé de Saint-Père- en-Vallée de Chartres. L’obligation de foi et hommage se répète à chaque succession. L’Eglise perçoit legs, donations et dîmes.
Les seigneurs dépendants de l’abbé de Saint-Père.
Par le rituel de «foy et hommage», le vassal reconnaît sa dépendance envers le suzerain qui lui a donné un fief. Ces
dépendances évoquent un habitat encore actuel comme la Sergenterie, Le Mesnil, Hanneucourt, La Chartre, Oinville, Guitrancourt, Fontenay-Saint-Père… D’autres ne sont plus que des lieux-dits comme Le bois d’Herval, Le Giboin, Chaudry, Les Angles, Les Bruyères. Certains ont disparu : La Bauve, les fiefs Josset et Bonnival.
Cf. la liste des abbés et seigneurs dans le livre.
LES SEIGNEURS DE JUZIERS
Letgarde de Vermandois lègue la seigneurie à l’abbaye de Chartres. De 978 à 1752, qu’ils soient religieux ou laïcs, les abbés de Saint-Père sont seigneurs de Juziers. Ils en ont tous les privilèges dont celui de «basse, moyenne et haute justice». Ils délèguent à un prieur la gestion spirituelle et matérielle de Juziers.
Le patrimoine du prieuré s’accroît au fil des ans par dons et transferts de droits : droit de péage, de pâturage, de pêche, de navigation. Ces dons favorisent la construction d’une nouvelle église à la place de celle qui existait lors de la donation de 978.
Les abbés commendataires de Saint-Père.
Dès 1480, l’abbaye de Saint-Père est mise en commende : en 1480, Philippe de La Chapelle, chanoine de Chartres et protonotaire,
succède à l’abbé Jean Pinard. Parfois plusieurs membres d’une même famille se succèdent au «bénéfice» : les de Brilhac (ou Brillac), Hurault, de Lorraine d’Harcourt…
Pierre de Brisay, abbé de 1540 à 1571, devenu hérétique, se marie, a des enfants et doit abandonner sa commende.
Louis Barbier de la Rivière participe à la fondation de Notre-Dame de la Pitié. Le prince Claude de Lorraine est aussi abbé du Bec-Hellouin ; il est «gros décimateur à cause de son abbaye de Saint Père en Vallée dont il reçoit 3000 livres ; pour la paroisse, le sieur curé touche 400 livres pour lui et un vicaire» et laisse sa charge à la famille Hurault.
L’abbé Thésut est continuellement confronté à de nombreux procès avec ses paroissiens.
L’abbé Louis François de Lopès de la Fare prend sa charge en 1730 ; par bail emphytéotique, vingt- deux ans plus tard, il lègue la
seigneurie de Juziers à son neveu Pierre François.
Les seigneurs laïcs.
Le marquis Pierre François Joseph Gabriel de Lopès de la Fare est donc seigneur de Juziers de 1752 à 1759. Lui succèderont Balthazar
Maximin de Boze, François de Montpezat et Charles Louis Michel Delisdelot.
En 1778, l’abbaye de Saint-Père est unie à l’évêché de Chartres. Jean-Baptiste de Lubersac, évêque de Chartres, revendique tous ses droits, y compris Juziers dont il sera le dernier seigneur de 1782 à 1790.
Liste des abbés et seigneurs dans notre livre.
La justice à Juziers
Les abbés sont hauts justiciers pour les peines de mort et de mutilations, et bas justiciers pour tous les autres délits. Au XIVe siècle apparaît la moyenne justice mais les appels se font au bailliage de Meulan.
Nicolas Sanson, curé de Juziers, docteur en droit est bailli (juge). Michel Levieil avocat au parlement lui succède. Le bailli peut être remplacé par un lieutenant ou un procureur fiscal, comme Robert Leboeuf, de 1640 à 1681.
Un auditoire est construit sur le domaine du prieuré du Bourg. Le 24 juillet 1475, le bailliage de Meulan confirme aux abbés seigneurs le droit de haute, moyenne et basse justice. Les exécutions capitales se font par pendaison à «l’échelle de justice» au lieu appelé Sautry (les Sotteries) entre Haumont et le Mesnil ou à côté du cimetière.
La plupart des procès et ordonnances concernent la vie courante : redevances, sentences de police avec ses interdictions (lancer des pelotes de neige… s’attrouper et faire du bruit pendant la messe… jouer au tamis ou jeu de sas dans la rue de l’église) et ses obligations comme curer les ravines, élaguer les chemins…
En 1744, Jean Commissaire et Christophe Biterne sont condamnés «à avoir les bras, cuisses, jambes et reins rompus vifs… leur corps mis sur une roue, la face tournée vers le ciel pour y demeurer tant et si longtemps qu’il plaira à Dieu leur conserver la vie…» pour l’assassinat d’un dénommé Damien Jérome. La sentence devait être exécutée sur la place publique de Juziers la Ville, un jour de marché.
L’obligation de déclaration de grossesse afin d’éviter les infanticides, suite à l’édit de Henri II de 1556, vaudra à Juziers un procès analysé par Marcel Lachiver ; il en a fait un roman historique : Une fille perdue. Il s’agit de Catherine Ozanne, accusée en 1771 « pour avoir celé sa grossesse et son enfantement, avoir ensuite pris son enfant, l’avoir porté et jeté au bord de la rivière et par la même occasionné sa mort ». Elle sera pendue en place publique de Meulan.
Les cahiers de doléances, en 1789, révèlent que les Juziérois sont satisfaits de leur justice car elle est rendue sur place : «nous ne croyons pas devoir demander la suppression de notre justice. En, la conservant, c’est à la vérité un degré de juridiction de plus à franchir …». L’abolition des privilèges supprime la justice seigneuriale et entraîne la fermeture de l’auditoire du Bourg où maître Grimon notaire et ancien greffier conserve ses archives.
Châteaux et châtelains
Le château du Bourg.
L’ancien prieuré, devenu le château du Bourg est vendu par adjudication comme bien national le 27 janvier 1791 à Thomas Ribault de Nointel pour 156 000 livres. Au bout d’un mois seulement, il revend l’ensemble à Jean-Baptiste Accarias La Buissière, homme de loi. En 1796, à la mort de son épouse l’un de ses beaux fils Clément Hercule Carié Saint Clément, reste seul propriétaire. II sera maire de Juziers en 1816. Ses difficultés financières l’obligent à vendre son domaine en plusieurs étapes. Thérèse Elisabeth de Cossard d’Espier, veuve de M. de Brossard de Cléry acquiert le château et son jardin. A la suite d’une surenchère, c’est finalement le sieur Pierre Vincent Delarue qui devient châtelain du Bourg. Le 9 mai 1829 Anthème Grégoire achète à son tour le domaine. Les bâtiments, jardins et parc, clos de murs, ont une superficie d’environ trois hectares.
Le 2 juillet 1842 Claude-Alphonse Delangle, sous seing privé, devient propriétaire du château du Bourg.
Cf. « Ils ont vécu… »
A son décès Monsieur Alloend-Bessand, fondateur de «la Belle Jardinière» se porte acquéreur du domaine. Puis ce sera Jacques Etienne Ernest Bédoille agent de change.
Le château connaît par la suite de nombreux propriétaires dont l’Union des Syndicats Féminins de la Région Parisienne en 1938.
Le 23 février 1998, la commune acquiert la parcelle au nord de l’église avec les anciennes écuries avec remises et pigeonnier, afin d’y construire le Centre du Bourg dont l’inauguration a lieu le 18 janvier 2003.
Le château du Mesnil.
Le fief du Mesnil dépend du couvent de Saint-Laurent-de-Conservin. Il est aliéné, en 1569 (d’après E. Grave), à Jean de Nivelle, seigneur de Falaise qui prête foy et hommage au duc d’Anjou, comte de Meulan. Le nom de Mesnil Do ou Dot apparaît aussi dans les textes du XVIe siècle mais ce sont les Sifflet qui sont les seigneurs du Mesnil au siècle suivant. Ils agrandissent leur fief avec les fermes d’Herval et des Granges. Les propriétaires seront successivement la veuve de François Dotte, René Le Roy d’Herval (souvent en procès avec les abbés, tant pour le cens et la dîme que le droit de chasse). Les Pollard achètent le Mesnil en 1753, puis successivement, la veuve de Berville et enfin Auguste Alphonse Etienne. Le domaine est vendu aux enchères et c’est Eugène Manet et son épouse Berthe Morisot qui acquièrent le château le 29 novembre 1891. Leur fille Julie, héritière à la mort de sa mère en 1895, n’en prendra véritablement possession qu’après son mariage en1900 avec Ernest Rouart, élève de Degas. Sa cousine Jeannie Gobillard épouse le poète Paul Valéry ; ils seront souvent les hôtes du Mesnil qui devient un salon artistique et littéraire.
Le château, resté dans la même famille jusqu’à ce jour, est situé rue Berthe Morisot.
Le château des Granges.
Il reste lié à celui du Mesnil jusqu’au XIXe siècle. Un bail détaillé à JB. Cauchoix est établi en 1762. D’autres suivront.
En 1855, Alfred Jolibois de Paris construit une vaste «maison de campagne» attenante à la ferme qu’il revend à Eugène Henri Albassier qui la cède à Désiré Lecasble, notaire. La Seconde Guerre mondiale lui fait subir de lourds dégâts. Revendu en 1952, le domaine compte alors 150 ha. Il sera bien restauré à la fin du XXe siècle.
Le château de la Sergenterie.
Les titres de l’abbaye de Saint-Père font état en 1578 d’un contrat de vente de la Sergenterie de Juziers par Henry du Mesnil à Gilbert Chappée. Lui succède Pierre le Cousturier, conseiller et secrétaire du roi ; le fief de la Sergenterie est alors lié à celui de la «Mairie» de Fontenay-Saint-Père.
De nombreux actes riches d’enseignements : titres, aveux, pièces et papiers livrent les noms de différents notaires et ceux des propriétaires. Le fief est situé sur Juziers-la-Ville mais aussi sur le hameau du Bourg : «une maison de Sergenterie où semble que soit exercée la justice». Denis Le Dreux, seigneur de La Chartre acquiert la Sergenterie en 1730. Il donne à bail la ferme à Maximilien Chappée.
Sa fille Madeleine veuve de Lucien Boissière vend le domaine en 1752 à Marie Gabriel et Louis Nicolas Dupré. Cens et droits seigneuriaux sont toujours perçus par les seigneurs de Juziers et d’Hanneucourt.
En 1759, Laurent Jean Babille, ancien échevin de la ville de Paris achète La Sergenterie qui passe à sa fille Elisabeth Victoire Bonnel de Longchamp (1789) puis en 1831 à son fils, Jacques Louis Victor et à son décès, à son épouse Adélaïde Michelle Joséphine née Moutard.
En 1837, elle vend le domaine à Pierre Jules Baroche (Cf. Ils ont vécu..) ;
«j’ai dû à cette maison de bien doux instants de repos et de calme… travaillant aux sujets qui me plaisaient : histoire, littérature, relisant tous les jours un peu d’Horace et de Cicéron entouré de ma famille…». Dans ses Causeries et Souvenirs de voyages, son épouse, Célestine Le Tellier évoque avec beaucoup de sensibilité ce coin de paradis où sa famille s’est enracinée
En 1870, Jules Baroche meurt à Jersey où il s’était réfugié.
Madame Baroche conserve le château de la Sergenterie où elle décède le 23 mai 1878. Alphonse Baroche hérite du domaine et de la ferme du Clos Brayon de Gargenville. Nous lui devons l’allée des Marronniers rebaptisée en 1995 allée d’East Hoathly en l’honneur du jumelage. Madame Baroche née Laure Nanquette s’éteint en 1928. Sa fille cadette, Geneviève s’unit à Julien Busson Billault, avocat, petit-fils d’Adolphe Billault (Cf. Ils ont vécu..). Il est maire de Juziers de 1911 à 1923. Sa fille unique Marie épouse le marquis Pierre Amaury de Bérulle. En 1945, à la Libération, la Sergenterie est à moitié détruite par une explosion. Leur fille unique, Nicole, comtesse Bertier de Sauvigny décide de vendre le domaine familial. Le château est racheté par la municipalité, en 1947, pour y créer le «groupe scolaire de la Sergenterie».
Le château-chalet de la Rivière
Le château ou chalet de La Rivière est un parfait exemple de ces propriétés du Second Empire, nées de la volonté de notables fortunés.
La première maison Delapalme, parallèle à la Seine, connue seulement par des photos datant des années 1855-1860 est de proportions modestes : cinq travées, un seul étage souligné par un bandeau et une corniche délimitant les combles d’un toit en bâtière.
Jules Emile Delapalme, marié en 1860 à Félicie Flamant, aura sept enfants entre 1862 et 1874 et la maison s’avère vite trop petite. Il l’agrandit pour la mettre au goût du jour dans un style anglo-normand. La maison s’articule intérieurement autour d’un vaste hall couvert d’une verrière, et entouré sur deux étages de galeries en bois sur lesquelles s’ouvrent chambres et cabinets de toilette. A la mort de Jules Emile, la propriété reste en indivision jusqu’en 1938. Un an plus tard la guerre survient ; elle portera un coup fatal à la grande maison Delapalme.
Fin Août 1944 à la libération de Juziers le chalet «La Rivière» est volontairement et totalement incendié par les Allemands. La grande maison de style anglo-normand ne sera pas reconstruite mais la famille, toujours très attachée à Juziers, aménage les dépendances.
Château et hameau de La Chartre
Le hameau de la Chartre appartient à Juziers jusqu’en 1881. Les abbés de Saint-Père-en-Vallée n’en possèdent qu’une partie dont le monastère de Saint-Laurent-de-Conservin, fondé au XIIe siècle. Au XVIIe siècle le monastère devient simple prieuré ; il est vendu comme bien national à la Révolution et sert par la suite de ferme. A la fin du XIXe siècle l’église est incendiée ; seule demeure une stèle de saint Laurent transférée à l’entrée de Brueil-en-Vexin.
La ferme de La Malmaison dépend des seigneurs de Brueil.
En 1540, la famille Dampont, originaire d’Eure-et-Loir, rend foy et hommage au seigneur de La Malmaison pour son fief et à l’abbé de Saint-Père-en-Vallée pour La Chartre. Quelques arpents, autour de la chapelle Saint Gaucher feront l’objet de cinquante ans de chicanes entre les seigneurs de La Chartre, de Brueil et de Juziers. Charles de Hallot, devenu seigneur de La Chartre cède la place à Denis Le Dreux, seigneur de La Sergenterie.
A la veille de la Révolution, les droits de chasse, de voirie et de clôture occasionnent des procès entre Héricher de Cormont et l’abbé de La Fare.
L’actuel château de La Chartre date du XIXe siècle. L’abbé Thévenot, curé de Juziers écrit en 1874 que M. Devolué fit remplacer la vieille statue de saint Gaucher par une autre en bois. Une copie de celle-ci a été récemment mise en place dans la niche de la fontaine. (Cf. chapitre V).
Le 10 juin 1881, Jules Grévy, ministre de l’Intérieur signe le décret qui rattache La Chartre à Brueil et l’évêque de Versailles reconnaît l’ordonnance d’annexion du hameau : les paroissiens relèveront de la juridiction de Brueil.